Grand-Pa me prit sur ses genoux, je m’en souviens très bien, c’était un soir de novembre, je devais avoir une grosse dizaine d’année… Dehors, il pleuvait… De superbes éclairs zébraient le ciel, le couvrant d’éphémères lézardes… Le vent avait forci, depuis deux jours, et voilà bientôt une semaine que je n’avais pas quitté la maison de Grand-Pa… Elle est géniale, cette maison, elle est grande, spacieuse, et il y avait une grande table de ping-pong sur laquelle moi et Grand-Pa on se disputait d’épiques matches de tennis de table… Je l’ai battu deux-trois fois, mais sinon, il était toujours le plus fort… Hélas, il est mort, maintenant… Et toute son expérience, son savoir… Il était le dernier de notre famille à avoir vécu avant, et le seul qui savait comment c’était, avant…
Un long serpent noir passait à côté de la maison, et, quand je demandais à Grand-Pa ce qu’était cette espèce de bande noire toute défoncée, il me répondait, invariablement, que c’était un vestige d’avant. Il ne disait jamais plus, mais je voyais ses yeux s’embuer de larmes lorsqu’il se détournait de ce vestige… Il m’a toujours interdit de m’en approcher… Un jour, pourtant, voulant en avoir le cœur net, j’ai posé mon pied dessus… Comme ça avait l’air stable et solide, je l’ai suivi, en direction du soleil… Et j’ai marché, des heures et des heures, au milieu de la plaine, pour voir ou se terminait le long serpent, et sa tête, ou, allez savoir, sa queue… Et puis, en ayant marre, je me suis retourné, et j’ai pris le chemin inverse… Je suis arrivé très tard chez moi… Grand-Pa ne m’a rien dit… Pourtant, je le voyais dans ses yeux, il savait… C’est comme si il avait voulu me faire comprendre que cela ne servait à rien de suivre les serpents noirs…
Enfin… Un jour, donc, il alla dans un des tiroirs du secrétaire dont il gardait jalousement la clef autour du coup, y fouilla un peu, et en ressortit une flasque remplie d’un liquide noir, et une autre, remplie d’un autre liquide, jaune, cette fois-ci… Il me dit à peu près ceci :
« Maintenant, tu as l’âge pour que je te transmette mon héritage… Il vaut plus que tout au monde, j’en ai gardé jusqu’à la fin, avant, on en trouvait plein, puis il a commencé à diminuer… Avant, avant, hé bien, avant, on en trouvait dans toutes les maisons… Et surtout là où il y avait plein de maison… Mais maintenant, il n’en reste plus que quelques gouttes, éparpillées partout sur la planète… Dont celles-ci… »
Il déboucha l’une des flasques, celle au liquide jaune. Aussitôt, une odeur horrible me sauta à la gorge, et je dût me détourner pour ne pas vomir. Grand-Pa continua :
« Maintenant, ce n’est qu’une relique d’avant… Mais avant, c’était… Tout… Il a gardé son nom, pourtant, venant d’anciennes civilisations… »
Il déboucha l’autre, et une odeur encore plus insupportable me parvint aux narines, j’en fût à deux doigts de vomir…
« Cela s’appelait du pétrole… »
Snow